Les cinq îles boucliers de Dakar: NGOR, YOFF, WERR, LAAR ET BEER
La guirlande mystique du chapelet sacré des îles-sanctuaires, lieux-refuge des divinités lebu : une délimitation par l’imaginaire de l’espace social d’un groupe
Pour eux, les cinq îles entourant la presqu’île du Cap vert où est nichée Dakar ne constituent pas seulement des sortes de brise-lames naturelles qui contribuent à protéger Dakar de la furie des vagues en période de haute houle.
En tant que sites sacrés où sont logés des divinités du panthéon féminisé et génies tutélaires de la ville, ces cinq îles (et non quatre comme cela semble à premiere vue) constituent aussi, selon les Lébous, les premiers habitants de Dakar, un «bouclier mystique» qui protège Dakar et ses habitants des mauvais sorts.
Ces cinq îles sont : Laar (le talisman), la « petite ile » qui forme avec l’île de Wërr plus connue sous son appellation de Île sarpan ( du nom d’un ancien militaire français qui y a été exilé et non « île aux serpents » comme le dissent, à tort certains) le petit archipel inhabité des Madeleines dans le parc naturel éponyme, l’île de Gorée, Bèer de son nom originaire et des îles dites de Teunguen que sont Yoff (également inhabité) et Ngor, à l’extrême nord de la presqu’île.
On note une forte prégnance dans l’hagiographie laayeen (confrérie musulmane majoritairement léboue) de ces cinq îles dont les origines et l’existence sont étroitement associées à l’apparition mystique de Maam Limaamu Laay, (Imam Al Mahdi), fondateur de la confrérie des layenes qui est né à Yoff . Et dont l’arrivée aurait été annoncée “dans les roches noires de l’Ouest à l’extrême occident au bord de la mer, où le Mahdi a laissé ses empreintes sur les pierres” , bien des siècles, avant dans les grands textes sacrés des religions révélées. Et notamment chez des auteurs comme Khurtabi que cite Max Diop, un intellectuel, membre de la confrérie des Laayen qui, dans une livraison sur sa page facebook du 08 Juillet 2017 à 15h05, a écrit ceci :
“ le Mahdi attendu va apparaître dans un territoire au bord de la mer et cerné par quatre îles. En dehors de Dakar, quel site correspond le mieux a cette prédiction des savants musulmans. Dakar n’est-il pas entouré de quatre îles Yoff, Ngor, Madeleine et Gorée. Cela ne peut pas être le fruit d’une coïncidence”.
C’est nous a-t-on dit, à l’âge de 40 ans que Seydina Limamou qui était dépourvu de toute connaissance livresque, arriva à Tonghor (sur des dunes de la plage contiguë à l’aéroport), par la mer et commença à prêcher la divine parole. Il fit montre d’une si grande érudition dans le domaine du savoir religieux qu’on lui conféra la réputation de prophète. On attribue à Seydina Limamou Laye de nombreux miracles. On rapporte par exemple que c’est lui qui a délimité la plage de Yoff en une ligne qui forme un rivage que plus jamais les flots assourdissants ne dépasseront. Il a, raconte le Diaraf de Yoff, dit un jour aux colonisateurs qui voulaient le déporter qu’il n’irait pas au-delà de Gorée car « il avait les pieds enfouis à la septième terre et les cheveux accrochés au ciel »
à Gorée, il provoqua une très forte pluie en pleine saison sèche et fit apparaître dans les ruelles de l’île historique un énorme éléphant blanc qui ameuta tout le monde. Cet homme qui, une fois « s’était publiquement transformé (…) son visage apparaissant avec deux teints : l’un restant noir, l’autre blanc, comme celui d’un arabe” est selon ses disciples à l’origine de l’expansion urbaine qu’a connue la presqu’île du cap vert et de la fulgurante modernisation de la zone où le mystère lui fut révélé par Dieu.
Tout ce qui existe à Dakar et aux alentours, il l’avait prédit et formulé dans un langage symbolique que les plus avertis n’ont pas eu de peine à comprendre. Il a dit par exemple : « viendra un jour où là où nous sommes assis s’étirera en une longueur considérable un immense serpent noir sur lequel fourmilleront des milliers d’insectes de toutes formes et de toutes couleurs » ( c’est l’autoroute). Ou encore : « je les vois ces aigles géants qui un jour très proche s’envoleront du pays des Toubabs pour venir nous gratifier de merveilles » (l’aéroport et le trafic aérien).
Dans le même registre de langage, avait-il prédit ainsi la création de la foire internationale, des complexes hôteliers qui bordent les plages, etc.
Le site internet- Histoire et spiritualité dans une note de lecture du livre de Oumar Ndao Dakar , l’ineffable rapporte les propos de ce dignitaire lébou Gueye patron de Amad qui confie que “sans ces cinq îles Dëkk raw , la cité refuge aurait disparu depuis des lustres. Au coeur de ce dispositif de protection mystique, il y a le genie tutélaire et grand “Tuur” de Dakar, Lëg Daour Mbaay déformation par usage langagier de son nom veritable Dëkk Wërr, Mbaay de son patronyme (celui qui habite l’île de Wërr), une périphrase pour nommer cette divinité suprême que les Lébous se représentent comme leur “génie protecteur, mi-homme, mi-cheval”, la seule figure masculine du panthéon féminisé de la cosmogonie walaf-lebu dont ces nombreuses figures féminines spiritualisées qui ont leur demeure dans ces cinq îles, pour certaines comme Kumba Kastell qui, du haut de la falaise du même nom, vieille sur l’île historique de Gorée. Ou encore Buur Tëngeen et Maam Njare qui habitent respectivement les îles de Ngor et de Yoff.
Et pour d’autres, à divers autres endroits sacrés ce même littoral rocheux de la presqu’île du Cap vert et sur l’ensemble du littoral dont Sangaamar sur l’embouchure du Delta du Saloum considérée comme le point de confluence de toutes les divinités du panthéon par les Lébous. Lesquels partagent avec leurs cousins seereer de la Petite côte ces mêmes pratiques « des rites célébrés en face de l’océan, une sorte de célébration de la passion de Mama Guedj, le génie des eaux, en vue de calmer l’onde mystérieuse, surtout ces moments extraordinaires où elle est animée de volonté de mort ».




Ces deux groupes ethniques voisins et cousins ayant aussi en partage cette même vision écologiste du monde cristallisée dans leurs mythes et rites d’eau. Lesquels donnent à comprendre sur cette fonction intangible des zones humides que le 6e Congrès de l’UICN de Durban (en Afrique du Sud) a consacré sous le vocable d’« Eco-cultures » dont justement les mythes et rites d’eau portent les traces. Comme le rapporte le Pr Amad Faye pour qui comme: « dans ce terroir maritime même l’abattage de l’arbre destiné à la construction d’une pirogue était considérée comme un attentat qui exigeait une procession, pour réparer les dommages de l’acte et présider à la rencontre nuptiale entre l’élément végétal et l’élément aquatique. La pirogue était tirée de la forêt où elle est née à la mer où elle est appelée à mourir, au rythme d’une musique envoûtante, étoffée de ces mélopées mâles proférées pour réconcilier les catégories organiques de la nature offensée ».
Ils sont nombreux , en effet, les récits du genre à constituer, à ce titre, des éléments d’une éducation pour l’environnement qui ont pour socle un imaginaire collectif bien structuré articulée à une vision écologiste du monde, que l’on retrouve de façon récurrente dans nombre d’autres ethnies habitant dans les zones estuariennes et littorales de la frange maritime de cette partie du continent africain. Et notamment chez tous ces « peuples d’eau » comme les Seereer Niominka du delta du Sine Saloum, les Waalo waalo des berges du Fleuve Sénégal, les Wolofs et Lébous des Niayes et de la presqu’île du Cap vert où toute l’architecture du système de représentations et de l’imaginaire collectif, mais aussi la pensée sociale et magico-religieuse reposent sur le fourmillement cohérent de la notion de personne. C’est à dire du concept de ‘Nit»(la personne) en tant que référence permanente à l’homme, pierre angulaire de ce dispositif de pensée et noyau dynamique d’un réseau de participations.
Cette vision très écologiste du monde est en lien avec la culture de gestion sacralisée des cours d’eau et mares, confiée à certaines familles au profit de toute la collectivité. Elle constitue le fondement de cette philosophie des Walaf-Lebu et des Seereer qui renforce les liens de cousinage et d’évitement entre l’homme et l’animal, l’homme et la plante, l’homme et le minéral (alliance cathartique et totémisme). Elle constitue, au bout du compte, une preuve, par le vécu, que le choix de modèles de développement et l’élaboration de programmes économiques, ceux concernant l’aménagement des aires protégées comme les réserves situées dans les zones humides « ne peuvent faire table rase des croyances, des systèmes sociopolitiques, modes d’organisation et intérêt en jeux ; la psychologie sociale, les technologies traditionnelles, le savoir et le savoir-faire locaux sont des paramètres de la planification »

