Dans la période mai – juin 2022, le leader religieux sénégalais, Cheikh Mouhamadoul Mahi Cheikh Ibrahima Niass, khalife général de la « Fayda Tijaniyya », une des plus grandes branches dans le monde de la confrérie musulmane, la Tijaniyya (1) a effectué une éclatante mission de « bons offices diplomatiques » au Soudan afin d’y réconcilier plus d’une cinquantaine de tribus du Darfour. Elles étaient empêtrées depuis plusieurs années dans une guerre civile meurtrière.
Cette mission facilitée par le régime de transition dirigé par le général Abdel Fattah al-Burhan a été couronnée d’un succès qui a été éloquemment salué par plusieurs pays et personnalités, mais aussi par des organisations africaines et internationales. Au premier rang, il y avait le Président du Sénégal, M. Macky Sall en plein dans l’exercice de son mandat de président de l’union africaine (UA). C’est dans ce même ordre de temps, qu’il a été choisi par une conférence à Khartoum capitale du Soudan comme président de la nouvelle Union islamique africaine (UIA) placée sous l’égide de la Ligue Islamique Mondiale (LIM).
Sa défunte sœur, Seyda Mariama Ibrahima Niass avait elle aussi en 1999 effectué une médiation discrète pour réconcilier le Soudan et le Sénégal. Dans les années 90, l’UNICEF avait eu recours à un leader religieux très influent dans le monde et particulièrement en Afrique et en Amérique, Cheikh Hassan Cissé (RA.) comme ambassadeur international pour relancer la campagne de vaccination contre la poliomyélite au Nigéria, un des deux pays les plus peuplés du continent Africain. Des leaders musulmans avaient disséminé de la confusion dans les esprits par de supposées intentions de réduction de la fécondité des hommes et des femmes par la vaccination orale (anti-poliomyélite) sur les enfants nigérians. La survenue sur le sol du Nigéria de ce petit-fils du Cheikh Ibrahima Niass, guide vénéré par des dizaines de millions de nigérians avait eu une issue positive très large face à ce brûlant sujet de santé. La vaccination avait admirablement repris sur tout le territoire nigérian.
Dans cette illustre famille, il y en a eu d’autres actions remarquables menées ici et là à travers le monde pour la préservation de la paix, la coexistence pacifique entre les communautés et les religions, l’éducation et la formation des jeunes générations, le développement socio-économiques des peuples africains,etc. D’où tout cela a-t-il jailli ?
Le souffle immense de la Fayda
Il y a eu durant le siècle dernier, un illustre sénégalais qui a marqué lumineusement et durablement son époque, son pays et son continent, l’Afrique. Son itinéraire a franchi plusieurs autres aires de la planète. Il s’agit du Cheikh Elhadj Ibrahima Niass (1900 -1975). Son aura lumineuse a été telle dans sa trajectoire les ulémas de la prestigieuse et plus que millénaire Université islamique égyptienne lui attribuèrent le titre de Cheikh Al Islam. En outre, c’est lors d’une réunion de l’assemblée du Congrès mondial Islamique que le secrétaire général de cette organisation, le pakistanais Inamullah Khan lui donna le titre également élevé de « Muballigh » (Missionnaire de l’Islam).
Depuis sa concession modeste en banco, non loin de la mosquée majestueuse de la cité sainte de « Médina Baye Niass » située dans la ville de Kaolack (100 km à l’est de Dakar), « Baye » a rayonné au Sénégal et ses environs proches ouest-africains, avant d’atteindre les contreforts de l’Himalaya, de traverser les grandes étendues des bords de la Grande Muraille de Chine, de passer par dessus les déserts et de nombreuses haltes aux lieux saints du Moyen-Orient, au Pakistan, au Cachemire, en Inde et au delà des Pyrénées, enjambant, sans résistance, l’arrêt « Charles Martel de Poitiers » (2).
Il a marqué indubitablement cœurs et esprits de centaines de millions plusieurs hommes et femmes de tous âges de divers peuples de plusieurs langues et de toutes les races du monde. La race Noire, la sienne et son continent de naissance, l’Afrique sont tous à la hune de son œuvre spirituelle gigantesque.
Dans ses écrits et discours, Cheikh Ibrahim Niass a plusieurs fois clamé avec un charisme irrésistible qu’il avait été investi d’une mission de défenseur et de « ré-vivificateur » de l’Islam par le Saint Coran et la Sunnah de l’envoyé d’Allah, Seydina Mouhamed (PSL). Il était venu au monde surtout pour déverser les trésors intarissables de la Gnose ou « ma’arifa » (connaissance de la suprême réalité divine). Cette élection divine était sous-tendue par l’amour immense voué au Prophète de l’Islam et la proximité de Cheikh Ahmed Tijani Chérif (RTA) dont il a été le khalife dans toute son ampleur. Il avait annoncé avec éclat avoir en sa possession la « Fayda » (3) par le biais du Saint Patron de la de la confrérie Tijaniyya, Cheikh Ahmed Tijani Chérif. Ce grand Saint en avait fait la promesse à ces disciples, précisant que cela surviendrait dans une période éprouvante pour toute l’humanité. C’était le grand Krach de 1929.
Adhésion de peuples d’Afrique
Cette sublime et ardente annonce sera lancée lors d’une fameuse nuit de Maouloud (4) de 1929-1930, depuis Taïba Niassène petit village du Saloum, un terroir du centre du Sénégal). Comme un gigantesque « tsunami » spirituel, les flots des enseignements jaillis de cette « Fayda » ont inondé d’abord l’ouest africain (Nigeria, Ghana, Niger, Tchad, Togo, Mali, Mauritanie, Cameroun, etc.). Dans un poème très connu de ses disciples, il y a énuméré les communautés qui se sont empressées les premières dans cette massive adhésion. Cheikh Baye Niass y citent en premier les Haoussas, suivis des Yoroubas, Djermas, Bambaras, Dogombas, Frafras, Malinkés, Peuls, Maures, Soninkés, Wolofs, Sérères, Mossis,Arabes, Berbères, Soudanais, Soussous, Dogons, Diolas et Dioula.
Avant son décès le 26 Juillet 1975 à l’hôpital Saint Thomas de Londres (Angleterre), son appel avait déjà atteint le reste du continent africain, le Maghreb, le Soudan, l’Egypte, le Moyen Orient, l’Asie du Sud-Est, la Chine, Hong Kong, Singapour, Malaisie, l’Europe. Les rives de cette « inondation spirituelle » s’élargiront plus tard par le biais de ces khalifes successifs et ses petits-enfants vers les Amériques (Etats-Unis, Canada, Jamaïque, Brésil, Bahamas, Trinité et Tobago, etc.).
L’Afrique et la race Noire ont occupé une place honorable dans son engagement pour la vérité, sur le long itinéraire qu’il a suivi infatigablement à travers le monde. Dans l’ouvrage « Baye Niass, le défenseur de l’Islam » de son fils Cheikh Mouhamadoul Mahi Ibrahima Niass (5), on y note « les nombreux voyages de Cheikh Baye Niass à travers le continent africain et le reste du monde. Il y a rencontré plusieurs grandes figures de son époque dont les Rois Mouhammed V et Hassan II du Maroc, l’égyptien Gamal Abdel Nasser, Ahmed Ben Bella et Houari Boumedienne d’Algérie, le tunisien Habib Bourguiba, le ghanéen Kwamé Nkrumah chantre du panafricanisme, le guinéen Ahmed Sékou Touré, le soudanais général Gaafar al Nimeiry, le nigérian Yakubu Gowon, etc. »
Baye, Barham Baba comme on l’appelle affectueusement et avec une déférence profonde au Sénégal, au Nigéria et par de dizaines de millions de disciples de tous les âges, des deux sexes et de toutes les conditions (rois, émirs, chefs d’Etat et gens ordinaires) dans le monde, a consacré une énergie considérable jusqu’à son dernier souffle pour répandre la « Fayda » et délivrer surtout la bonne connaissance de sa religion l’Islam telle qu’il a été délivrée dans le saint Coran et par le dernier des messagers d’Allah, le Prophète Mouhamed (PSL).
Partisan engagé pour l’indépendance et l’unité africaine
Ça n’était pas tout ! En témoin de premier plan, il avait ressenti et vécu les terribles tribulations des peuples noirs, ainsi que les rudes épreuves subies par tous ses illustres prédécesseurs propagateurs de l’éveil islamique (Cheikh Oumar Foutiyou Tall, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, le Maodo ElHadj Malick Sy, son père Mame Abdalahi Niass (son père qui a eu à se réfugier en Gambie anglaise pour mettre sa famille à l’abri), Maba Diakhou Ba du Nioro du Rip, etc.), il a tenu une constance combative dans ses nombreux discours en faveur de la paix, de la liberté et de l’indépendance des peuples noirs mais aussi à travers le reste du monde. Il a également côtoyé des leaders des mouvements pour la libération du continent et a suivi de près ou de loin leurs sagas indépendantistes respectives.
Sa réputation poussaient plusieurs leaders africains à lui demander des conseils, notamment son ami pourtant chrétien, « l’Osagyefo » Kwame Nkrumah. Hors du continent, il avait les portes ouvertes auprès de grands leaders commeJozip Broz Tito de Yougoslavie, Mao Tsé Toung et son premier ministre Chou En Laï, Nehru du Pakistan, Kroutchev de l’URSS, l’indonésien Soekarno, Cheikh Zayed Ben Sultan al Nayhan de l’émirat d’Abu Dhabi, le Général Abdul Karim Khassim d’Irak, le Général francais Degaulle, etc.
Son fils Mahdy le décrit comme « un leader qui grâce à son ouverture d’esprit, corollaire de personnalité multidimensionnelle, a pu se démarquer de la tendance traditionnelle qui veut qu’un chef religieux soit cloisonné dans les seules limites du terrain spirituel ». Son illustre père avait dit de lui tout jeune : « tu n’as nullement besoin de voyager comme le font les autres parce que les gens afflueront vers toi. Sache que le devoir d’un fleuve plein c’est de déborder ; et si mes vaches du voisinage ne viennent pas s’y abreuver d’autres venues d’ailleurs le feront ».
L’Afrique aux Africains
L’éclat mémorable de cet engagement panafricaniste a été son opuscule intitulé « l’Afrique aux Africains » (Ifrîqiyâ li al Ifrîqiyyin) écrit en réponse à Monseigneur Marcel Lefebvre archevêque de Dakar. Celui-ci avait tenu des propos racistes envers les Noirs dans le numéro 46 paru en janvier 1953 de la revue « Ecclésia ». « Cela avait fait l’effet d’une bombe dans cette période coloniale » a fait remarquer son fils Cheikh Mahdy. Pour l’histoire, Marcel Lefevbre a été vicaire apostolique de Dakar en 1947 avant d’être archevêque de Dakar, poste qu’il a occupé jusqu’en 1962 année où il sera remplacé par Mgr Hyacinthe Thiandoum à la demande du Président du Sénégal Léopold Sédar Senghor auprès du Pape Jean XXIII.
Cheikh Baye Niass avait décidé derechef de prendre sa plume pour rétablir la vérité et contrer les fausses assertions de l’ecclésiaste français disparu depuis le 25 mars 1991. Cette volte-face digne a eu en son temps des échos étendus au Sénégal et à travers le continent, surtout dans la période où s’élever le ton politique, ouvrier et syndical, des bruits de bottes et des cliquetis d’armes. Ils se faisaient déjà entendre en grondement profond en faveur de la décolonisation, la libération et l’indépendance des peuples. Par des concours heureux de circonstances et de liens d’amitié très forts tissés sur sa réputation de sage vénérable avec quasiment tout le gotha des célébrités politiques des Non-Alignés, il a pris part à de grandes rencontres dont celle de 1966 à Accra (Ghana) axée sur le thème prémonitoire d’un « monde sans bombe atomique ».
Toujours dans son ouvrage, son fils Cheikh Mahdy Niass révèle que son vénéré père, Cheikh Ibrahim Niass a reçu plusieurs distinctions honorifiques dont : les médailles de Trône du royaume du Maroc et de Carthage (Tunisie), la légion d’honneur et la médaille du mérite de la société des Anciens Combattants de France, le Grand- Croix de l’Ordre du Mérite du Sénégal, un titre de Docteur honoris causa de Libye, une haute médaille du Nigéria, etc. Il s’était impliqué dans toutes les grandes causes africaines mais aussi pour celles des pays du Tiers-Monde, aujourd’hui rangés sous le label « pays du Sud ». Il a contribué à la fondation de la Ligue Mondiale Islamique, du Conseil supérieur de l’Organisation du Bien-Être islamique au Caire, et de l’association des universités islamiques à Fez (Maroc), etc.
Le foyer ardent du Nigéria
Le Raïs égyptien de l’époque des années 50 – 60, Gamal Abdel Nasser appréciait beaucoup sa compagnie et lui avait facilité ses voyages en Chine, en Indonésie, au Pakistan, en Inde, etc. Dans une profonde conviction, Nasser voyait en Cheikh Baye Niass le compagnon, le concours inespéré qui répandrait sa pensée politique panarabe à travers le monde » lit-on dans un article du site Léral.net paru en janvier 2015. Dans ce pays, il y a été le premier noir africain à diriger la prière dans la prestigieuse et ancien université islamique Al Ahzar du Caire. Toutefois, le pays dans lequel, il a jusqu’à aujourd’hui la plus grande communauté de disciples se trouve être le Nigéria. Il y a posé les pieds, seul, courant année 1946 à l’invitation du « Sarkin Kano » (émir de Kano, ville situé au nord du Nigeria à majorité peuplé de Haoussa et de fulanis) qu’il avait auparavant rencontré à la mosquée de Médine (Arabie Saoudite) au cours du pèlerinage de l’année 1937. C’etait au cours de cette rencontre, que ce fameux émir Abdulahi Bayéro (1926 – 1953) Cet émir avait secrètement demandé trois faveurs : être Émir, devenir le premier émir à effectuer le pèlerinage à la Mecque et enfin rencontrer ce haut personnage annoncé dans un oracle par Osman Dan Fodi (1754 – 1817), sultan de l’empire peul de Sokoto (Nord du Nigeria) ». Devenu Émir, il avait gardé à l’esprit le troisième vœu et qui était la rencontre de ce Pôle de la Sainteté annoncé. Abdullahi Bayéro avait à en tête le présage lancé des décennies avant l’avènement de Baye Niass par le Shehu Osman Dan Fodio. A propos de la venue de Baye Niass au Nigéria plusieurs décennies plus tard, ce souverain avait annoncé prophétiquement à l’aristocratie haoussa et fulani : « quand viendra cet homme, vous et vos princes ne serez plus suivis qu’à travers lui ».
Cette prophétie est contenue dans un court poème de 10 vers (°). Lors de son deuxième voyage au Nigéria en 1951, des foules déferlèrent en des flots immenses à sa rencontre comme l’avait également annoncé le Saint Patron de la confrérie « Tijaniyya ».
« L’effluve de la Fayda viendra avec un de mes disciples à tel point que les hommes entreront dans notre voie (tarîqa) par groupes, par peuples » avait-il dit. Depuis 1951, avec l’adhésion des Émirs et Sultans, de chérifs (descendants du Prophète) de Mauritanie, de Maroc, et d’Egypte, de savants et chefs traditionnels du Nigéria la communauté de la Fayda ne cesse de grossir. On retrouve des groupes de disciples et des zawiyas en Afrique du Sud dans les 36 Etats de ce pays Kano, Kaduna, Bauchi, Lagos, Adamawa, Katsina, Kébbi, Sokoto, etc. L’expansion est même notée vers la Tanzanie, les Comores, l’Angola, le Gabon, etc.
Sollicitations discrètes de médiation diplomatiques
A chaque édition du Maouloud célébrée au Sénégal, au Nigéria, en Mauritanie, en Gambie et dans plusieurs autres pays du monde, c’est un moment de « discrètes » sollicitations diplomatiques et politiques pour la médiation, la paix, la sécurité, le développement socio-économique, l’éducation. « La configuration de cette communauté sur le continent et à travers le monde est un atout réel pour l’Afrique, principalement en tant que liant puissant pour l’unité des pays du continent dans le panafricanisme » avait déclaré un des fils de Baye Niass, Cheikh et homme politique, Cheikh Mouhamadoul Khoureichi Niass. Cheikh Baye Niass qui était très estimé par le Général Yakubu Gowon et qui a été à l’époque chef de l’Etat fédéral du Nigéria a déployé des efforts soutenus pour la cessation des hostilités dans la terrible guerre civile du Biafra.
Il a été un grand défenseur des droits inaliénables du peuple palestinien sur sa terre et surtout sur Bayt Al Maqdis (Jérusalem) et la mosquée Al Aqsa. Toute sa vie il a condamné avec véhémence Israël pour ses violences et la spoliation des terres de Palestine. Jusqu’à aujourd’hui, ces « khalifes » successifs observent le même engagement en faveur du peuple palestinien, mais aussi pour celui du Cachemire. Plusieurs fois, Cheikh Ibrahima a été sollicité pour de la médiation au Maroc, en Mauritanie et aux quatre coins du monde. Lors des événements dramatiques entre le Sénégal et la Mauritanie de 1989, le Khalife de la Fayda de l’époque et fils ainé de Cheikh Baye Niasse, Cheikh El Hadj Abdoulaye Niass avait déployé avec promptitude des efforts pour sauver des milliers de résidants mauritaniens au Sénégal de la furie du massacre. Le Cheikh Al Islam, El Hadj Ibrahim Niass a laissé un legs immense en termes d’enseignements, d’engagement, d’ouverture pour tous les peuples d’Afrique en vue de leur liberté, leur émancipation dans l’indépendance pleine, entière et assumée. Au siècle des siècles…
FARA DIAW