Celle qui a brisé le mythe de la chefferie dans le Saloum
Au-delà du vibrant plaidoyer porté sur l’assouplissement à défaut d’une annulation pure et simple de la dette africaine, c’est à une véritable révolution conceptuelle à laquelle le discours solennel prononcé par le président de la république du Sénégal, M. Macky Sall lors du Sommet de Paris sur le financement des économies africaines.
Construire des fondations solides à partir des pierres qu’on lui a lancées, c’est ce que tente de faire Méta Ba, cheffe de village de Keur Sakala, une petite contrée située dans la commune de Médina Sabakh, dans le département de Nioro du Rip. Première femme à endosser une telle responsabilité dans cette zone, ‘’Badiène Méta’’ comme l’appellent les jeunes de cette localité, a été et continue d’être victime des moqueries et propos sexistes de la part des hommes. ‘’Les hommes se moquent toujours de moi à chaque fois qu’ils me croisent dans les rencontres publiques surtout mes parents peuls. Ils me disent qu’une femme ne doit pas être cheffe de village, que je suis têtue, etc. Mais, le Sous-préfet de Médina Sabakh prend toujours ma défense. Il leur fait comprendre que s’en prendre à moi, c’est comme s’en prendre au chef de l’État Macky Sall, car je suis leur cheffe et le représentant de l’État en quelque sorte’’, confie-telle toute souriante. Ces railleries, même les hommes de son village n’en sont pas épargnés. ‘’Ils vont jusqu’à me demander s’il y a réellement des hommes dans mon village. Mais, je ne me laisse pas faire.
« Si j’avais renoncé à cause des difficultés, je ne serais pas aujourd’hui cheffe de village’’, souligne Méta qui est aussi épouse d’un chef de village résidant en Gambie. »
Je leur dis que je resterai cheffe de village que cela leur plaise ou non et j’aimerais que d’autres femmes le deviennent’’, pour¬suit-elle. Lors de rencontres avec d’autres femmes, elle les invite à occuper les postes de responsabi¬lité. ‘’Certaines me disent qu’elles viendront me rendre visite pour que je les coache. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est de voir qu’il y a des jeunes filles qui sont intéressées. Pour moi, qu’on soit homme ou femme, on doit s’armer de courage. On est tous égaux et c’est la femme qui a mis au monde l’homme. Donc, il y a un pouvoir que Dieu nous a légué, peut-être qu’on en est inconsciente’’, sourit-elle. Bien qu’étant une femme connue et qui s’est toujours enga¬gée dans des combats politiques ou des causes communautaires, au début, son histoire avec la chefferie n’était que le coup du destin, après le décès de son jeune frère, Mama¬dou Ba, qui était le chef de village. Créée par son père en 1960, deux ans avant sa naissance, la contrée est restée sans dirigeant avec ce deuil.Fille unique et seule héritière de son père, Méta se devait d’entretenir ce ‘’legs’’. Elle est alors allée voir les autorités, le Sous-préfet de Médina Sabakh et le président de la communauté rurale. ‘’Je leur ai fait part de la situation.
Le village était sans chef. À l’époque, mes neveux étaient encore très jeunes, donc ils ne pouvaient pas diriger le village. Ils m’ont demandé si la fonction m’intéressait et j’ai répondu par l’affirmative. C’est ainsi, que j’ai été désignée et installée comme cheffe de village en 2010’’, déclare l’unique Sénégalaise cheffe de village. Mais, avant son installation, pour ne pas froisser la tradition, les autorités ont demandé l’avis des villageois pour savoir s’il y avait quelqu’un, notamment un homme, qui voulait la chefferie. Mais, aucun homme n’a voulu s’engager.
Une femme persévérante
Diriger ce village n’est pas un long fleuve tranquille. Au-delà des jugements sexistes auxquelles elle est obligée de faire face, elle a eu à rencontrer des difficultés pendant les premiers instants de son règne. ‘’Si j’avais renoncé à cause des difficultés, je ne serais pas aujourd’hui cheffe de village’’, souligne Méta, qui est aussi épouse d’un chef de village résidant en Gambie.
Badiène Méta n’a certes pas eu la chance d’aller à l’école, mais, après les enseignements coraniques, elle a suivi pendant 14 ans des cours d’alphabétisation en Wolof. Aujourd’hui, elle se bat quotidiennement pour le bien-être de sa communauté et son engagement a été récompensé avec l’électrification récente de son village et des partenariats avec des ONG. Elle est actuellement en pleins préparatifs d’un festival prévu en fin décembre prochain pour la promotion de la culture peul. Car, la cheffe de village de Keur Sakala, souhaite marquer son magistère. Elle ne veut pas qu’on lui reproche de n’avoir pu trouver des projets pour son village parce qu’elle est une femme. ‘’IL nous manque encore des infrastructures routières surtout et sanitaires et si j’arrive à avoir une route bien faite et une case de santé pour mon village, je serai une cheffe comblée’’, avoue-t-elle.
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